Timeline
TIMELINE
« Novateur et prolifique, Jean-Michel Héniquez, décloisonne les genres artistiques. Oscillant entre références scientifiques, picturales et littéraires, l’artiste tisse de singulières correspondances entre mémoire, identité et intime. À l’aise avec les avant-gardes comme la génération geek, […], ses travaux ont été présentés, entre autres, au Centre Georges Pompidou.
La diversité de ses modes de créations artistiques en fait un artiste inclassable : productions écrites, sonores, installations, vidéos, sculptures, parcours interactifs… Alliant souvent l’art et les sciences, son œuvre est une somme de tentatives pour fixer dans l’espace le passage du temps. On est en présence d’un art de la mémoire et des émotions. »(Pascal Sanson)
Il revient ici sur son parcours et évoque sa prochaine production : TIMELINE.
Question : Jean-Michel Héniquez, vous travaillez le plus souvent sous forme de projets. Qu’en est-il pour le projet « TIMELINE » ?
JMH : Ce projet est en réalité un projet « d’exposition ». Je tiens à ce vocable. Beaucoup trop d’expositions à mon goût sont en réalité un « accrochage » des œuvres d’un ou plusieurs artistes. Mais les temps changent. De plus en plus, les « curateurs » élaborent des projets d’expositions originales, les mettent en résonance avec un lieu… J’ai lu sous la plume de Gaël Charbau, curateur au Palais de Tokyo, une phrase que j’aime beaucoup – je cite de mémoire – « une exposition, c’est un prolongement physique du travail lié au langage… »
Question : Que voulez-vous dire par là ?
JMH : J’ai écrit beaucoup de textes dans les années 80 sur le concept d’exposition. Venant de la poésie spatiale, je n’étais pas satisfait de son passage à l’exposition. Il s’agissait de textes qui se présentaient comme des « images » dont les matériaux étaient des lettres ou des signes de ponctuation. La confrontation de ce qui était fait pour l’intime avec les œuvres plastiques était rédhibitoire. Je m’en suis aperçu dès nos premières expositions à Lille, Villeneuve d’Ascq… L’accrochage faisait pauvre. Je dis « nos » car j’avais créé, avec trois autres artistes, un collectif.
Question : Quelle solution à ce problème aviez-vous trouvé ?
JMH : Il y a eu plusieurs étapes. La première a eu lieu à Querrieu, dans la Somme, en 1983. Dans poésie spatiale, c’est le mot « spatiale » qui m’a guidé vers la solution. J’ai réalisé qu’il fallait passer de la surface au volume. On dirait maintenant de la 2D à la 3D. Les textes étaient en surface, ils ont été exposés en volume moyennant une scénographie adaptée. L’émergence du concept et son apport innovant nous a conduit, l’année suivante, en 1984, tout droit au Centre Pompidou où nous avons exposé nos théories et réalisé une exposition d’une semaine.
Question : Comment cela a-t-il été reçu ?
JMH : Très bien me semble-t-il. Mais cela n’a pas émergé vers un signal fort. La poésie spatiale en tant que telle était en objet artistique en fin de cycle même si nous l’avions doté d’un « vocabulaire » plus riche (couleur, signes extralinguistiques, mode d’exposition…). Par contre, en opposition au « signal fort », on pourrait évoquer les signaux « faibles » de sa lente mais significative diffusion dans le monde contemporain en particulier dans la publicité grâce aux possibilités offertes par le développement de l’informatique et plus particulièrement de la création graphique numérique. Avec le recul, je vois ça comme la fin d’une étoile en supernova : un début, une vie, une fin dans une belle et forte émission lumineuse.
Question : À la suite de ça, qu’est donc devenu votre Mouvement ?
JMH : J’ai évoqué tout à l’heure plusieurs étapes. La dernière phase a vu les membres du groupe se disperser vers des horizons divers. L’un, Martial Lengellé, a fait sa thèse de doctorat sur Pierre Garnier, cofondateur historique de la Poésie Spatiale. Un autre, Philippe Bootz, également une thèse de doctorat sur les technologies numériques appliquées à la création poétique. Quant à la dernière, Brigitte Dorez, je l’ai perdue de vue. Je suis le seul, je pense, à avoir poursuivi une voie purement artistique.
Question : Revenons à la phrase de Charbau que vous citiez : « une exposition, c’est un prolongement physique du travail lié au langage… »
JMH : En effet. Durant ces années, ma participation à des colloques m’a conduit à une réflexion profonde sur le concept d’exposition. À la suite de l’un d’entre eux, j’ai décidé de mettre en application ce que je préconisais. Cela a donné une vaste « installation » sur l’Homme aux loups, un analysé de Freud à la Maison de la Culture d’Amiens [1985 ndlr]. Il y a eu là un véritable continuum entre langage et espace. On parlerait maintenant d’exposition à prise d’indices, où chaque objet, chaque œuvre ou partie renvoyait à une totalité en fonctionnement. La difficulté d’une telle réalisation résidait dans l’équilibre subtil entre le souhait de faire partager une émotion diffuse sans compréhension nécessaire de ce qui sous-tend le travail et la perte de sens inhérente à l’absence de support de compréhension.
Ce n’est pas nouveau, même si on fait semblant del’ignorer, qu’un tableau du XVIième, par exemple, peut être apprécié, certes, pour ce qu’on y voit mais l’approche du « détail » peut en dire long si on maîtrise les codes des symboles utilisés. Les œuvres actuelles ne me semblent pas, de ce point de vue, ni plus difficiles ni plus faciles que des œuvres plus anciennes.
Question : Pour TIMELINE, prendrez-vous un curateur ?
JMH : (Sourire…). Ce serait certainement une bonne chose vu la taille souhaitée du projet ! Et sur le plan conceptuel et sur le plan matériel ! Si vous posez cette question, c’est que vous avez sans doute senti que ce que j’aimé dans toutes ses productions, c’était d’être à soi-même son propre curateur. C’est vrai que j’aime ce côté démiurge de régler chaque chose comme je le souhaite. Et donc non, je serai seul aux commandes !
Question : Vous semblez faire souvent référence à un texte, un livre, on pourrait dire à de la matière textuelle pour élaborer les scénarii de vos expositions. Le projet « Le Pavillon d’or » que vous aviez présenté en 1992 pour l’exposition de projets « L’art au défi des technosciences » à la Villette à Paris relevait aussi de ce constat. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
JMH : Vous avez raison à plus d’un titre. À cette époque, la présence d’un texte initiateur était encore très marquée dans mon travail. J’aimais bien « raconter une histoire ». Une autre curatrice, Martha Kirszenbaum, reconnaît l’absolue nécessité de « créer une narration spatiale » tout en tenant compte de « l’architecture du lieu d’accueil ». C’était à l’époque ma ligne conductrice et ça le demeure en grande partie encore, même si mon travail a déplacé le curseur vers une forme plus plastique.
Mais revenons au « Pavillon d’Or ». Ce livre de Y. Mishima me poursuit depuis cette date. C’est un peu « Ma mariée mise à nu… ». La difficulté de la mise en œuvre et les moyens financiers qu’elle réclamait m’ont perturbé durant quelques années. À un point tel que j’ai pensé ne plus produire en réel. L’idée me séduisait de ne plus rien réaliser dans le réel et de ne plus produire que des projets virtuels. Mon site internet [www.jeanmichelheniquez.fr ndlr] est un avatar de cette idée. Je pourrais y empiler des projets complètement décrits, réalisables avec peu ou beaucoup de moyens et que les autres pourraient s’approprier. Une INPI [institut National de la Propriété Industrielle, ndlr] à l’envers, un droit d’auteur retourné ! Faire cela, c’était pour moi rejoindre une pratique ancienne d’échanges de motifs et d’idées.
Question : Qu’est-ce qui vous a remis dans le chemin de la création directe, si j’ose dire ?
JMH : Une rencontre avec une artiste, Agnès Gomez. Je lui avais présenté mon travail ancien. Elle m’a invité à participer à l’une de ses expositions, c’était en 2008. J’ai créé à cette occasion l’installation « Les livres ne sont pas faits pour être jetés », ce n’était que justice ! (sourire…) Et depuis cette date, mes démons m’ont repris…
Question : Le projet TIMELINE trouve-t-il aussi son origine dans une lecture qui vous a marqué ?
JMH : Pas du tout ! Il vient un peu comme l’exposition à la Maison de Culture d’Amiens, en ponctuation, pour mettre à l’épreuve du réel la réflexion engagée.
Je m’explique : mes œuvres tiennent compte de la spécificité des supports médias utilisés qu’ils soient oraux, écrits ou multimédias… Le support « exposition » ne pouvait échapper à cette posture. Pour moi, l’exposition doit être vue comme l’œuvre en soi. C’est elle qui a quelque chose à dire en immergeant le spectateur dans une variation de propositions où, avec implication, il pourrait reconnaître les thématiques en jeu. Et d’ailleurs, on ne peut que regretter, avec Philippe Parreno qu’« il n’existe pas d’histoire de l’art retraçant l’histoire des expositions ». Filmer, par exemple, une exposition ne peut restituer la plus-value du parcours qu’elle propose. Finalement toute exposition finit sur une perte.
Question : Votre travail met souvent en scène l’intime, la mémoire, le temps… Va-t-on les retrouver au sein de TIMELINE ?
JMH : Je ne pense pas pouvoir m’en échapper si facilement (sourire…). Mais ce qui m’intéresse là c’est la confrontation à la taille du lieu. Mon travail préparatoire n’est pas de réaliser chacune des œuvres et de voir ensuite comment les agencer mais bien de constituer un parcours et d’adapter les œuvres. Cette attitude crée une tension interne qui me motive car rien n’est stabilisé, rien n’est rassurant, à l’image de la vie. Des œuvres anciennes peuvent être complètement revues, des œuvres nouvelles impensées jusqu’à présent devenir évidentes. Ce ballet intellectuel me fascine et me réveille souvent (rire…) mais le plaisir à créer à l’intérieur du cerveau est énorme. Je pense que cela rejoint le travail d’un architecte.
Question : Cela sera-t-il une proposition purement monographique ?
JMH : Au vu de ce que je viens de vous dire, on pourrait le croire mais ce qui m’intéresse est le rapport aux autres et la réalisation de mes œuvres est le plus souvent collaborative. Je viens avec une idée, on confronte. Parfois je pense que quelque chose est simple à réaliser et ce n’est absolument pas le cas, parfois c’est l’inverse. On se fourvoie ensemble dans une voie alors qu’un décentrement suffit souvent. Je me vois plutôt comme un intellectuel manuel ou l’inverse. J’aime travailler les concepts mais j’aime aussi taper des clous ! Et surtout partager mes émotions.
J’espère que cela se verra !